Violence et maladie mentale : des familles non entendues, des lois mal adaptées
La semaine dernière, tels une avalanche non pressentie, les meurtres gratuits de deux militaires québécois ont secoué tout le Canada et ce, d’un océan à l’autre. Incompréhension, colère, peur, appréhensions et quête de réponses ont occupé les pensées collectives et celles des spécialistes. Que l’on parle de la thèse du terrorisme, des limites dévolues aux autorités ou de la dangerosité non prévisible, chacun a eu droit à son chapitre en y allant de son angle d’analyse.
Pendant ce temps, un chagrin incommensurable a envahi le cœur des familles des victimes mais également celui des familles des agresseurs. Chacune d’entre elles cherchent à comprendre l’incompréhensible.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, malgré leur douleur respective, les familles sont compatissantes les unes envers les autres. Tous ont compris que les parents des agresseurs ont tenté d’éviter à leur proche de vaciller dans une folie incontrôlable, voire même qu’ils s’excusent en leur nom. Ces familles qui se sentent coupables de ne pas avoir pu éviter ces drames.
La maladie mentale dans ses spectres les plus sombres
D’emblée, rappelons que la très grande majorité des personnes qui ont des troubles mentaux se rétablissent et apportent leur contribution à la société. Quoique les autorités s’abstiennent d’aborder la notion de maladie mentale dans le cas des dernières tueries, les familles, elles, en font référence. Comment deux hommes ont-ils pu commettre de pareilles horreurs, comment ont-ils pu s’en prendre à d’innocentes victimes et leur symbole ?
Endoctrinement, comportements extrémistes, délires religieux… Permettons-nous d’analyser ces drames sous la lunette des familles. Dans le cas de Martin Rouleau, voyant les comportements de son fils changer, son père a multiplié les démarches, frappé à la porte du système de santé pour obtenir de l’aide et le dénoncer aux autorités. Une quête échelonnée sur plus d’un an mais le « danger » qu’il représentait, aux yeux des autorités, n’en était pas un que l’on pouvait qualifier « d’immédiat ».
Les lois et les mesures de suivi pour les personnes à potentiel de violence
Les lois sont ainsi faites; les libertés et les droits fondamentaux des Québécois font en sorte qu’on ne peut brimer et priver quelqu’un de sa liberté et ce, même si les familles témoignent d’importants changements de comportements qui font foi d’une perte de contrôle de jugement et de potentiel de violence.
Bien sûr, une loi provinciale permet aux familles de se présenter devant le juge pour obtenir une ordonnance afin d’obliger leur proche à subir un examen clinique psychiatrique, une démarche lourde d’obligations et de conséquences lorsque l’on sait par expérience que la majorité ressort de l’hôpital quelques heures après leur admission. La notion de dangerosité levée, c’est la sortie côté jardin qui attend la personne atteinte, sans aucun suivi. Il s’agit d’un état de fait complètement inacceptable lorsque l’on parle de la perte de jugement occasionnée par des troubles mentaux, qu’ils soient diagnostiqués ou non.
Modifier la Loi P-38.001 et accorder de la considération aux membres de l’entourage
Depuis plus de 25 ans, les 40 associations regroupées au sein de notre fédération sont des témoins de drames qui auraient pu être évités si la législation avait été mieux adaptée. Dans ce contexte, la FFAPAMM demande au gouvernement de modifier la Loi P-38.001 (Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui).
« Danger imminent » et « danger immédiat », quelles en sont précisément les définitions ? Quelles sont les bases objectives permettant à la magistrature et aux médecins d’établir le niveau de danger ? Ultimement, est-ce que cette notion doit s’appliquer à la maladie mentale ? Devrait-on prévoir un suivi systématique pour les personnes atteintes de maladie mentale qui présentent un haut risque de violence ? Ces questions se doivent d’être mises sur la table pour le débat.
Des drames qui auraient pu être évités ?
On ne peut affirmer hors de tout doute que ces drames invraisemblables auraient pu être évités mais nous pouvons affirmer sans aucun doute que le débat s’impose. Il est urgent que le gouvernement prenne le leadership pour permettre un débat engendrant des changements dans les lois, notamment en instaurant des obligations de suivi pour la minorité des personnes atteintes de maladie mentale qui présentent des signes de violence ou des comportements dangereux.
Stigma : maladie mentale et dangerosité
Les drames dont on parle aujourd’hui sont lourds de conséquences pour la population mais également sur les stigmas et les préjugés dont sont victimes les personnes qui souffrent de troubles mentaux. À preuve, les deux agresseurs dont on parle font partie d’une minorité qui éclabousse une majorité, soit des milliers de personnes qui s’investissent dans leur rétablissement.
Nous sommes dans l’urgence d’agir; il faut passer à l’action et avoir le courage de trouver des solutions justes et équitables.
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Hélène Fradet, directrice générale de la Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale (FFAPAMM)