Garder l’équilibre dans le déséquilibre
« Je croyais que je venais de gagner un billet pour une descente aux enfers. J’étais bouleversée de voir mon frère dans cet état. À vrai dire, je ne le reconnaissais même plus. »
J’ai 24 ans, je suis une jeune femme pleine d’énergie qui mord dans la vie. Je travaille comme éducatrice à la petite enfance et j’ai des projets plein la tête. Il s’agit d’une réalité partagée par la majorité des jeunes de mon âge. Pourtant, il y a un aspect de ma vie que j’ai eu de la difficulté à verbaliser, j’ai grandi dans un univers bien particulier, celui de la maladie mentale.
Mes parents ont vécu des périodes que je qualifierais de très difficiles. Déjà, toute petite, je devais composer avec MA normalité, une réalité qui était bien loin de celle de mes amis. La maladie mentale de mes parents ne leur était pas exclusive. Leurs problèmes avaient de lourdes conséquences sur mon jeune frère et moi. Gamine, j’assumais des responsabilités parentales qui sont normalement dévolues aux adultes. J’aurais dû être protégée par ma famille, mais c’est moi qui la protégeais. Nous vivions dans un équilibre fragile.
Mon petit frère et moi faisions équipe. Un tandem où la confiance et la complicité étaient au rendez-vous. Nous nous sommes écorchés les genoux en tombant, ce n’était pas grave, nous avons appris à nous relever. Nous avons joué ensemble, pleuré à deux et rêvé d’une vie meilleure. Depuis mon enfance, il était mon camarade de jeux, mon complice, mon confident, celui sur qui je pouvais compter… mon petit frère!
Jusqu’au jour où le sol s’effondre
Dans la vie, il y a des tremblements de terre qui apeurent la population, des catastrophes naturelles sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle. C’est ce que j’ai vécu avec mon frère, car bien malgré lui, il m’a fait vivre un séisme psychologique.
À l’école secondaire, je savais qu’il consommait de la drogue comme plusieurs de son âge. J’ai cru remarquer certains changements dans son comportement, mais rien de catastrophique. À son entrée au CEGEP, ses bizarreries prenaient de plus en plus de place dans notre quotidien. La drogue ne pouvait plus servir d’excuse. Notre ciel s’est assombri totalement le jour où j’ai retrouvé ses écrits dans une poubelle. Il y avait là des idées incohérentes, un discours complètement désorganisé. Pour moi, c’était comme si les histoires du passé revenaient me hanter. J’ai dû prendre mon courage à deux mains pour faire hospitaliser mon frère. Comme dit l’expression: « ça m’a pognée au cœur et jusqu’au fond de mes trippes… »
La famille a éclaté et les amis se sont éloignés. Je croyais que je venais de gagner un billet pour une descente aux enfers. J’étais bouleversée de voir mon frère dans cet état. À vrai dire, je ne le reconnaissais même plus. Le voir ainsi, le savoir dans un autre monde m’était insoutenable. J’aurais aimé pouvoir le rejoindre dans son monde pour qu’il soit moins seul…
Des questions plein la tête
À ce moment-là, plusieurs questions me sont venues en tête. Pourquoi lui? Où est rendu mon petit frère, mon complice? Qu’est-ce qui se passe dans sa tête ? Comment puis-je faire pour l’aider? Qu’est-ce qui va lui arriver? Qu’est-ce qui va NOUS arriver? Qu’est-ce que les gens vont penser?
Ce n’était pas comme si mon frère avait eu un cancer. La maladie mentale n’attire pas la sympathie ou la compassion, mais plutôt la crainte et la curiosité. Mon frère était ridiculisé et des remarques désobligeantes nous étaient dirigées: « Il est rendu fou! », « C’est toi la prochaine! », « Une famille de fous! ». Les tabous entourant les maladies mentales ont tellement de répercussions, je les ai vécues à la puissance dix, une expérience peu enviable.
La maladie mentale de mon frère a provoqué le recul et les indélicatesses. Le regard des gens est devenu inquisiteur. On veut savoir, mais aussi voir à quoi ressemble une famille de fous. En fait, on se demande ce qui a rendu la personne malade, mais encore parfois pire, qui l’a rendue malade. Comme si l’apparition de la maladie mentale était la faute de quelqu’un…
Une lueur d’espoir
À l’âge de 15 ans, j’ai eu la chance de rencontrer une travailleuse sociale. Elle m’a fait prendre conscience de ma marginalité en m’annonçant que mes parents étaient atteints de maladie mentale. Ce fut grâce à cette intervenante que j’ai pris contact avec l’association de familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale de mon territoire. Cet organisme m’a énormément aidée. J’avais un endroit où me confier, j’ai été soutenue par des intervenants compétents et par les membres de l’association.
J’ai pu ainsi apaiser ma colère, mes sentiments de culpabilité, ma honte et mon amertume. Cette démarche m’a permis de comprendre les problèmes psychiatriques vécus dans ma famille. Une ressource qui a fait toute la différence dans mon cheminement. Heureusement car quelques année plus tard, j’ai dû affronter l’inévitable: mon frère était malade, sa souffrance m’affectait et j’avais à nouveau besoin d’aide.
Prendre le contrôle de ma vie
Lorsque mon frère a vécu sa première crise psychotique, je ne savais plus où aller et à quelle porte frapper. J’ai donc pris le téléphone et j’ai rejoint l’association. Tout comme la première fois, j’ai obtenu des services qui ont répondu à mes besoins. Dans mon cheminement, j’ai compris que je devais établir mes limites dans mon rôle d’accompagnatrice
Aujourd’hui, je peux témoigner que ma relation avec mes parents et mon frère s’est grandement améliorée. Ils savent que je les aime et qu’ils peuvent compter sur moi. Ils comprennent cependant que j’ai récupéré ma vie et ils acceptent de composer avec mes limites. C’est ainsi que je contribue à leur rétablissement.
J’ai découvert mes forces, je suis bien entourée et j’ai retrouvé mon petit frère. Notre ciel a repris toutes ses couleurs. Nous avons appris à marcher ensemble et à cheminer dans un nouveau sentier, celui de sa maladie mentale. Le lien que nous unit aujourd’hui est pour mon frère et moi une grande source d’espoir. Nous pouvons compter l’un sur l’autre, et ce, quoiqu’il advienne. Moi, je l’aime… et encore plus fort!
Maryse Guillemette
Ambassadrice de la campagne de
sensibilisation 2008 de la FFAPAMM