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Questionner le travail : Au cœur des pratiques de soutien en santé mentale au travail

Les milieux de travail ont connu d’importants bouleversements qui ne sont pas sans effets sur la capacité de travail, la santé mentale et le maintien en emploi des travailleuses et travailleurs. L’augmentation de la compétitivité et de la concurrence, avec leur lot de fusions d’entreprises et de pratiques de rationalisation des effectifs, a entraîné de nouvelles exigences en milieu de travail. La diversification des catégories d’emplois, l’intensification des tâches et la précarisation du travail en sont les manifestations les plus évidentes. Aussi, la somme de travail demandée aux employés s’accroît, alors que les ressources humaines et financières diminuent. Selon Vinet (2004), la hausse vertigineuse des absences en raison d’un problème de santé mentale et la hausse proportionnelle des primes d’assurance collective témoignent de l’ampleur et de la profondeur de cette crise.

Les problèmes de santé mentale au travail représentent actuellement l’une des plus importantes causes d’absence au travail, et ce phénomène a connu une croissance marquée au cours des deux dernières décennies (Gabriel et Liimatainen, 2000; Vézina & Bourbonnais, 2001; Dewa, Goering, Lin et Paterson, 2002; Henderson, Glozier et Elliott, 2005; Dewa, McDaid et Ettner, 2007; Houtman, 2007). Ces problèmes de santé mentale peuvent avoir des effets particulièrement incapacitants et entraîner de longues périodes d’invalidité (Koopmans et al, 2008) en plus de présenter un risque élevé de rechutes (Conti & Burton, 1994; Druss, Schlesinger & Allen, 2001; Gjesdal et al, 2004; Nieuwenhuijsen et al, 2006). Ce phénomène soulève toute l’importance et l’urgence d’agir pour aider ces personnes à se rétablir et à réintégrer le travail.

 

Des premiers signes et symptômes à l’arrêt de travail: un passage souvent difficile

Un sentiment de fatigue que l’on n’arrive plus à contrer est souvent l’un des premiers signes que l’on voit apparaître (St-Arnaud et al, 2003). On espère l’éliminer par l’arrivée des vacances ou encore par quelques journées de repos prises ici et là. Mais vient un temps où ces périodes de répit ne permettent plus de récupérer; la fatigue s’accumule et un profond sentiment d’épuisement se fait sentir. À ce sentiment d’épuisement s’ajoutent souvent des problèmes de sommeil, une difficulté de concentration, des pertes de mémoire, de l’irritabilité et, dans certains cas, l’envie de pleurer pour tout et pour rien. La baisse des capacités fonctionnelles, la difficulté à maintenir son rythme de production, l’irritabilité envers les collègues ou à l’égard de la clientèle, l’impression de perdre le contrôle, que la marmite va sauter d’une journée à l’autre, sont autant de symptômes qui annoncent la détérioration de l’état de santé, mais aussi, qui rendent visible une situation au regard des autres dans le milieu de travail (collègues, supérieurs, clients, etc.).

En dépit de ces symptômes, plusieurs travailleurs résistent à consulter, particulièrement les hommes mais aussi, les femmes (St-Arnaud et al, 2009). La peur d’être perçu comme quelqu’un de faible en raison de l’incapacité à résister à la pression du travail fait partie des craintes qui ont été mentionnées pour rendre compte de la résistance à consulter un médecin et à s’absenter du travail. Des travailleurs se sont sentis coupables de s’absenter, comme si l’effritement de leur état de santé signait leur faiblesse et leur laisser-aller, et ce, en dépit de symptômes réels et particulièrement invalidants (St-Arnaud et al, 2004; 2009). Selon Haslam, Atkinson, Brown et Haslam, (2005), les problèmes de santé mentale génèrent toujours une forte résistance en milieu de travail en raison des préjugés qui y sont associés. On repousse l’idée même de la maladie, on la refuse et ce n’est qu’in extremis que l’on acceptera.

L’arrêt de travail a des conséquences importantes dans le milieu de travail. Ne plus être en mesure d’assumer son rôle de travailleur exige, sur le plan social, d’excellentes raisons. Mais les problèmes de santé mentale demeurent encore un sujet tabou où l’on préférerait avoir à dire que l’on a fait un infarctus plutôt qu’une dépression. Les travailleurs ont souvent peine à évaluer la gravité de la situation, ils ont peu de points de repère et ils ont tendance à se juger sévèrement. Certains attendent de façon informelle l’approbation de leur entourage avant de consulter ou de s’absenter, un mot des collègues ou du supérieur, une façon d’être validé par le regard externe (St-Arnaud et al, 2004; 2009). Le soutien des collègues et du supérieur peut donc être un déterminant crucial pour aider le travailleur à consulter et à s’engager dans un processus thérapeutique. Les proches sont aussi des acteurs qui peuvent jouer un rôle important pour aider le travailleur à mesurer l’importance de sa détresse et l’aider à se décider à recourir à une aide externe.

La nature des relations que l’on entretient avec ses collègues et avec son supérieur ne sont pas sans effet sur l’anticipation plus ou moins positive des personnes à l’égard de leur retour au travail. Celles qui ont été soutenues tout au long de leur absence semblent avoir entretenu des images positives de leur travail, et ont nourri ainsi l’idée que revenir au travail, c’est revenir dans un lieu qui sera bon pour la santé mentale (St-Arnaud et al, 2004). À l’inverse, les personnes qui ont connu une perturbation de leurs rapports sociaux de travail et qui n’ont pas gardé une image positive de leur milieu de travail pendant l’absence, éprouvent plus de difficultés à envisager un retour au travail (St-Arnaud et al, 2009). Aussi, les travaux de Post, Krol et Groothoff (2005) montrent que les employés qui ont peu de soutien de la part de leurs collègues s’absentent du travail pour de plus longues périodes.

 

Reconnaître le rôle central du travail sur la santé mentale, le retour au travail et le maintien en emploi

Le retour au travail à la suite d’un problème de santé mentale est une étape cruciale à franchir et souvent marquée par un sentiment de vulnérabilité et par la crainte d’une rechute (St-Arnaud et al, 2003; 2007). Aussi, le retour au travail ne se fait pas à l’issue d’un recouvrement complet de la santé, mais peu à peu à travers un processus continu où, peu à peu, la santé se reconstruit au sein même de l’activité de travail. Les possibilités de revenir progressivement au travail, d’apporter des changements aux conditions ayant contribué au retrait et de bénéficier du soutien de ses collègues et de ses supérieurs sont parmi les facteurs qui favorisent un retour au travail réussi et le maintien en emploi. Reprendre confiance en ses capacités professionnelles, sentir que l’on est apprécié, retrouver le plaisir de travailler et de développer des perspectives d’avenir sont quelques-unes des expériences positives qui marquent un retour au travail réussi.

Qui plus est, apporter des changements dans le travail, notamment, agir sur les facteurs de l’environnement de travail qui ont contribué à la détérioration de l’état de santé et à l’arrêt de travail demeure la pratique la plus prometteuse pour soutenir le retour au travail et le maintien en emploi (St-Arnaud et al, 2007; Brenninkmeijer, Houtman et Blonk, (2008). Il est plus difficile de revenir au travail lorsque ce dernier a été une cause de la maladie. Des études ont montré l’importance d’agir sur l’environnement de travail pour la résolution des problèmes de santé mentale en agissant directement sur la source du problème (St-Arnaud et al, 2007). Une étude de Brenninkmeijer et al, (2008) sur les facteurs prédictifs du retour au travail à la suite d’une dépression fait également état de la nécessité d’apporter des modifications à la tâche ou des changements dans le travail pour favoriser le recouvrement de la santé et le retour au travail. L’intervention sur l’environnement de travail lors du retour au travail s’avère un déterminant majeur de la restauration de l’état de santé et d’un retour au travail réussi à la suite d’un problème de santé mentale. Ainsi, une entreprise concernée par la santé et le maintien de ses employés doit reconnaitre le rôle central du travail sur la santé mentale et le maintien au travail.

 

Louise St-Arnaud, Ph.D., collaboration spéciale
Professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada
sur l’intégration professionnelle et l’environnement psychosocial de travail
Université Laval

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